Intégrer l'éco-conception dans la phase d'idéation tout en encourageant la créativité

Chez Punctuate, nous avons récemment appris à maîtriser des principes, des méthodes, et des compétences d'éco-conception. En intégrant des pratiques d'éco-conception dans notre studio, nous avons élargi notre base de connaissances sur le sujet. À travers cette phase d'apprentissage et d’application, plusieurs problématiques et questionnements, ont naturellement émergé. Nous nous sommes donc demandé s'il était possible pour les designers d'intégrer l'éco-conception dès la phase d'idéation sans restreindre la créativité. 

La mise en œuvre des pratiques d'éco-conception, au sein de notre studio de conception, nous a amenés à réfléchir principalement à notre rôle en tant que designers dans ce processus. Un défi majeur pour notre équipe a été d'identifier à quel moment intégrer cette approche dans nos processus de conceptualisation et de développement de produits.

En règle générale, cette approche est incorporée lorsqu'une première version formelle du produit commence à voir le jour. Cependant, lorsque cela s'est produit, nous avons remarqué que nous devions régulièrement recommencer certaines étapes préliminaires : nous avions omis de prendre en considération - voire de nous inspirer de - certains des critères d'éco-conception qui sont apparus par la suite.

D'ordinaire, la phase d'idéation préliminaire est considérée comme un processus hautement créatif qui ne doit pas être contraint. Certains pourraient penser que l'ajout de contraintes dès le début du processus compromettrait la qualité et la quantité d'idées apportées au projet.

Le paradoxe de l'éco-concepteur

La créativité et l'éco-conception semblent être confrontées à un dualisme, où la priorité accordée à l'une, semble mettre en péril la qualité de l'autre. Cependant, nous avons décidé de pousser nos recherches plus loin afin d'étudier cette tension. Après tout, nous ne pouvons pas être les premiers designers à être confrontés à cette problématique.

Nos recherches nous ont permis de découvrir le paradoxe de l'éco-concepteur tel qu'il a été développé par Jensen et al. 1997 ainsi que par Lagerstedt et al. 2003. Ce paradoxe nous aide à comprendre que le concepteur doit agir le plus tôt possible dans le processus de conception afin de faciliter la mise en œuvre des stratégies d'éco-conception. En effet, selon la recherche, 80 % de l'impact d'un produit est déterminé au moment de sa conception.

Chez Punctuate, nous avons défini notre propre paradoxe de l'éco-designer en choisissant d'intégrer l'éco-conception dès les premiers ateliers de définition de stratégie avec nos clients.

La valeur ajoutée du designer industriel dans l'éco-conception

Nos recherches ont montré que la majorité des outils d'éco-innovation disponibles s'adressent davantage aux ingénieurs plutôt qu'aux designers. En 2010, Wafa Samet Kallel propose dans sa thèse "Développement d'une méthode d'éco-innovation", un outil dont l'objectif n'est pas d'altérer l'imagination du designer, mais de la stimuler par la personnalisation du produit. En tant que studio de design innovant, notre objectif est d'aller plus loin en exploitant toutes nos forces en matière d'éco-conception.

En effet, plusieurs initiatives, et stratégies, ont vu le jour ces dernières années en réponse aux modèles de consommation actuels. Par conséquent, nous avons vu les discours sur le design évoluer, où les aspects esthétiques, et environnementaux du produit, sont devenus étroitement liés. Consulter notre article : La valeur du design émotionnel.

Chez Punctuate, nous croyons que le design a le pouvoir d'accroître l'attachement aux produits et aux services. Ces techniques nous permettent d'acquérir une compréhension plus globale de l'ensemble du cycle de vie d'un produit. Ce qui permet de mieux cibler la réduction d'impact.

Exemple d'analyse de produits existants pour définir les possibilités d'optimisation par Punctuate

Par conséquent, notre objectif principal est de prolonger le cycle de vie du produit. Ainsi, les consommateurs sont davantage encouragés, à désirer, à s'attacher, à préserver, à réparer, à entretenir, et finalement à transmettre les objets qu'ils achètent au lieu de s'en débarrasser.

En se concentrant sur l'optimisation de l'expérience de l'utilisateur, les designers peuvent incorporer de la valeur dans les artefacts de manière subtile et durable, et prolonger ainsi le cycle de vie du produit. L'expérience de l'utilisateur comprend de multiples aspects interconnectés, y compris l'expérience esthétique du produit, toutefois sans s'y limiter. Afin de promouvoir l'attachement au produit, le critère esthétique est aussi fondamental que les autres critères dans l'éco-conception. 

En appliquant cette méthodologie à nos projets, nous démontrons qu'il est possible d'avoir un produit à la fois esthétique et éco-conçu.

En outre, l'année dernière, nous avons travaillé de plus en plus sur des produits électroniques et phygitaux chez Punctuate(lien vers le projet Moduly). En intégrant les principes de l'éco-conception au début de chaque projet, nos recherches ont révélé que les impacts générés par la phase d'utilisation de ces types de produits représentent entre 60 et 80 % de leur impact total. 

Ainsi que nous l'avons déjà souligné, le designer industriel dispose de compétences, et de connaissances, nécessaires pour comprendre les enjeux de la phase d'utilisation grâce à son approche centrée sur l'utilisateur. 

En ce sens, les designers contribuent activement au pilotage de l'expérience de l'utilisateur, notamment une fois le produit acheté par le consommateur et mis en service. Le designer peut optimiser les interactions au sein de cette phase d'utilisation, afin de limiter, ou de réduire, les actions qui entraînent des impacts négatifs.

Exemple d'utilisation du modèle de Lidman et Renstrom (2011) des stratégies de conception pour développer et supporter les comportements soutenables. En l'appliquant, nous avons compris la nécessité de créer une application web connectée pour piloter le comportement de l'utilisateur

Enfin, les designers ont l'habitude de solliciter quotidiennement leurs muscles créatifs tout au long de leur méthodologie de conception, comme en témoignent les séances de brainstorming. Leurs outils d'analyse créative, et leurs compétences, peuvent être d'une grande valeur en termes d'éco-innovation. Ils sont ainsi capables de trouver rapidement des solutions ambitieuses qui vont au-delà de l'évidence. 

La révélation la plus importante réside dans la formation des designers. Ils doivent être formés de manière approfondie à l'éco-conception afin que les solutions créatives qu'ils proposent, et développent, aient le moins d'impact négatif possible sur l'environnement.

 

La méthodologie de Punctuate en 4 étapes

Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de redéfinir notre propre méthodologie Punctuate en y intégrant de manière transparente les principes et les pratiques de l'éco-conception. Pour nous, il est impératif que les ingénieurs et les concepteurs collaborent main dans la main pour atteindre un objectif commun : l'éco-innovation.

Étape 1 : Identifier la stratégie de développement des produits

Cette étape s'inscrit dans la phase de recherche qui précède tout brainstorming de concept important, et se fonde sur les "méthodes de conception pour une innovation circulaire réussie", développées par Ecodesign Circle (Ateliers - Ecodesign Toolkit).

Dans le cadre d'un projet d'éco-conception, il est important que toutes les parties prenantes soient activement impliquées dans le processus. Un produit éco-conçu peut générer une quantité impressionnante de significations et de valeur pour ces parties prenantes, ainsi que pour l'utilisateur final. En ce sens, les collaborateurs du projet doivent contribuer activement à l'ensemble du projet, qu'il s'agisse des clients, des ingénieurs, des designers industriels, des fabricants, des fournisseurs, des distributeurs ou des acheteurs, pour n'en citer que quelques-uns. 

Par ailleurs, afin de s'assurer que le projet remplit ses objectifs d'éco-innovation, il est important de définir des intentions claires dès le début du processus. Par exemple, nous avons sélectionné 10 objectifs de développement durable parmi ceux définis par les Nations Unies (LES 17 OBJECTIFS du développement durable) parmi lesquels les acteurs peuvent choisir d'agir par le biais de l'éco-conception. Nous recommandons d'en choisir un à trois pour chaque projet.

Source : les 17 objectifs des Nations unies pour changer le monde https://www.un.org/sustainabledevelopment

En outre, pour compléter les objectifs de durabilité sélectionnés, nous avons identifié jusqu'à 14 méga tendances sur lesquelles nous pouvons offrir une valeur ajoutée à nos parties prenantes grâce à l'éco-conception. Chaque année, la Fondation SITRA publie les tendances émergentes de l'année. Celles de 2023 décrivent l'ensemble des tendances futures conduisant à des changements dans diverses industries à travers cinq thèmes : la nature, les personnes, le pouvoir, la technologie et l'économie. Au cœur de ces tendances, on retrouve par exemple, la crise de la durabilité écologique, et l'érosion de la capacité de restauration de la nature. Comme nous le savons tous, les températures se réchauffent, la biodiversité diminue à un rythme alarmant, les ressources naturelles sont surexploitées, et la quantité de déchets augmente. 

Par conséquent, choisir d'agir sur ces tendances peut s'avérer très utile d'un point de vue éthique et socioculturel, en plus du point de vue environnemental. Ces types de considérations peuvent ensuite faire l'objet d'un marketing adéquat lors du lancement, et de la mise sur le marché du produit, afin de sensibiliser les utilisateurs et d'accroître la notoriété de la marque

Nous recommandons également de choisir une à trois de ces tendances qui serviront de lignes directrices pour chaque projet. Voici quelques exemples de cartes de mégatendances : 

Source : MegaTrends de SITRA

Étape 2 : Prendre connaissance des impacts

La deuxième étape du processus consiste à identifier les principaux impacts environnementaux du produit que l'on souhaite développer avant d'entamer la phase d'idéation. D'après notre expérience, cette étape est d'une importance cruciale et a déjà donné des résultats significatifs dans nos projets.

Pour gagner du temps, le premier réflexe devrait être de rechercher tous les rapports d'analyse de cycle de vie disponibles pouvant servir de référence. Si aucun rapport n'est disponible, nous optons pour l'achat d'un produit comparable et effectuons nous-mêmes une analyse du cycle de vie en interne. Cela peut également nous aider à confirmer, ou à infirmer, les chiffres trouvés dans les rapports initiaux.

Illustrons cette étape avec l'exemple d'un purificateur d'air : 

Exemple de l'étude sur les purificateurs d'air - représentation graphique des données statistiques évaluées par Punctuate

Nous avons constaté qu'environ 60 à 80 % des impacts du cycle de vie du produit étaient dus à la consommation d'électricité pendant la phase d'utilisation de son cycle de vie. Par conséquent, lors de la conception du produit, nous avons identifié deux paramètres principaux à prendre en compte. Premièrement, il est important d'optimiser la consommation d'énergie du moteur. Deuxièmement, les utilisateurs doivent être guidés pour minimiser le temps d'utilisation inutile.

Étape 3 : Formation de l'équipe à l'éco-conception

Nos recherches, ainsi que notre propre expérience, nous ont montrés que quelques freins peuvent surgir lorsqu'il s'agit d'intégrer des designers industriels dans une démarche d'éco-conception. En effet, des hypothèses stéréotypées, ou des situations isolées, peuvent conduire à penser que les designers sont avant tout préoccupés par des considérations esthétiques. Ce point de vue peut également insinuer que les designers-concepteurs ont tendance à ignorer les impacts environnementaux causés par certains des choix esthétiques qu'ils pourraient privilégier. Dans cette même zone grise, nous pouvons également trouver des publicités pour l'utilisation de matériaux dits "verts" qui sont associés à la nature, comme le bois. Sans une évaluation appropriée du cycle de vie, ces matériaux peuvent être plus nocifs que prévu, car ils doivent être replacés dans le contexte du cycle de vie complet du produit.

Chez Punctuate, l'ensemble de l'équipe a suivi de nombreuses sessions de formation à l'éco-conception. Nous avons observé que ces formations rendent l'équipe enthousiaste à l'égard du processus d'éco-conception, et la rendent de plus en plus consciente de l'impact de ses choix en matière de conception. Un designer qui comprend l'éco-conception est un concepteur qui comprend l'impact environnemental de ses idées.

Exemple d'atelier interne d'éco-conception chez Punctuate

En ce sens, nous avons observé un changement de réflexe au sein de notre équipe de design, en particulier pendant les phases d'idéation du processus de conception. En fait, nos designers intègrent automatiquement des idées, et des critères d'amélioration, sans qu'on leur rappelle, ou qu'on leur demande de le faire. En outre, nous avons observé que nos designers ont tendance à mettre rapidement de côté certaines directions parce que leurs connaissances leur permettent d'anticiper les impacts majeurs que cela implique.

Étape 4 : Créer, imaginer, résoudre ou éliminer

À ce stade, nous avons défini la stratégie de développement du produit, nous avons établi une base de données sur les impacts, et nous avons formé l'équipe de conception sur les principes d'éco-conception. Donc, nous pouvons enfin commencer à développer les idées préliminaires.
. À ce stade, les concepteurs suivent un processus standard de projet de conception au cours duquel ils réfléchissent et examinent des centaines d'idées jusqu'à ce qu'ils les affinent en une poignée de concepts.  

Ces concepts sont développés, et sélectionnés, par l'équipe de design d'après le cahier des charges, les critères de design, et les intentions préalablement définis. Les révisions peuvent être effectuées au sein de l'équipe de design principale, en consultant des experts (par exemple, l'équipe d'ingénierie), ou même, en impliquant le client lui-même.

C'est à ce stade que la méthodologie que nous avons développée entre à nouveau en jeu. Cette quatrième étape se déroule principalement pendant la phase de développement du concept. Il s'agit d'une étape itérative qui peut être répétée plusieurs fois avant d'aboutir au concept final. Afin de sélectionner correctement les 3 à 5 concepts qui vont être présentés, il est utile d'analyser tous leurs avantages et inconvénients en termes d'impacts environnementaux

Nous recommandons donc de réaliser une analyse du cycle de vie (ACV) complète à ce stade pour calculer certains impacts. Cependant, il est important de ne pas trop entrer dans les détails puisque le produit est encore au stade de concept. L'objectif est vraiment de localiser rapidement les sources des principaux impacts. Une fois celles-ci identifiées, nous pouvons choisir d'éliminer ou de modifier certains concepts. Si l'on souhaite vraiment poursuivre un concept, il faut alors trouver une solution pour réduire les impacts problématiques. Cette façon de travailler peut être comparée au double diamant de la pensée design.

Grâce à quelques réunions où les concepts sont analysés et révisés par les parties prenantes impliquées, l'équipe peut se concentrer sur un concept final pour passer à la phase de développement. Afin d’orienter le choix final vers le meilleur concept, il est nécessaire de comparer les impacts potentiels des différents concepts préliminaires explorés. Cette comparaison peut aider l'équipe à évaluer certains critères et intentions de design pour chacun des concepts. Cela permet finalement de trouver le bon équilibre entre l'impact environnemental et les autres critères importants. 

En utilisant cette méthodologie d'éco-conception, les choix menant au concept final sont simplifiés et facilités : le designer a une perspective holistique, et éclairée, sur les différents impacts. Ainsi, certaines idées peuvent être éliminées, ou optimisées, beaucoup plus tôt dans le processus.

RÉSULTATS

La méthodologie que nous avons développée a déjà donné des résultats intéressants et conséquents au sein de notre studio de design. Cependant, nous serions ravis d'avoir votre retour d'expérience, qu'il soit positif ou qu'il s'agisse de points d'amélioration, afin de faire évoluer l'éco-conception pour le plus grand bien de tous !

N'hésitez pas à nous contacter à l'adresse suivante hello@punctuatedesign.com.

Valentine Chipault
Responsable de l'éco-conception
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