Prolonger le cycle de vie des produits et des services grâce à des principes de design durable et émotionnel
Notre point de vue sur le design pilotée par la recherche
Dans nos articles les plus récents, nous avons abordé des sujets et des questions liés au design d'un point de vue plus pratique en analysant des études de cas.
Dans la section suivante, nous avons décidé d'adopter une approche plus axée sur la recherche en vulgarisant un concept émergent et intéressant dans le domaine du design durable et émotionnel , à savoir la durabilité émotionnelle de la conception.
Les discours sur le design ont évolué et s'arrêtent sur la durabilité.
Au cours des dernières années - et même des dernières décennies - il est incontestable que les questions de préservation et de protection de l'environnement sont devenues la priorité numéro un de nombreux discours dans de multiples domaines. En fait, la recherche a montré que "[...] les professionnels de différents domaines sont en première ligne pour proposer des solutions alternatives innovantes dans le cadre d'un agenda écologique: [...] les considérations de durabilité vont au-delà de l'optimisation des caractéristiques techniques des matériaux pour prolonger leur cycle de vie.
Aujourd'hui, de nouvelles approches peuvent fonctionner à différents niveaux afin de répondre au besoin de durabilité" (Harb, 2020, P.73). Comme nous le savons tous, le mouvement en faveur du développement durable a été de plus en plus adopté par de nombreuses disciplines et industries (Gidley, 2008), y compris - et surtout - le design.
L'obsolescence psychologique qui alimente le modèle de surconsommation destructeur de la société moderne
Ce n'est un secret pour personne que la société moderne actuelle suit un modèle de consommation "acheter-utiliser-jeter-répéter"dans lequel les utilisateurs ont tendance à jeter des produits parfaitement fonctionnels. Ces comportements de gaspillage peuvent être spécifiquement observés lorsqu'une nouvelle version d'un produit ou d'un service est disponible, par exemple, et que les utilisateurs s'empressent de remplacer leur ancienne version. Certains modèles d'entreprise vont même jusqu'à planifier et programmer des dysfonctionnements de sorte que les clients se sentent incités à jeter et à remplacer le produit par un modèle plus récent. Connu sous le nom d'obsolescence programée, ce type de modèle d'entreprise contraire à l'éthique encourage la production de produits qui deviennent prématurément obsolètes. Ce phénomène peut également être observé lorsque les utilisateurs sont frustrés par des produits qui présentent des signes superficiels d'usure sur leur surface (ex. rayures, décolorations, taches), et se résolvent à les jeter au lieu de les nettoyer, de les réparer ou même de les accepter. Enfin, certains consommateurs se débarrassent des produits dès qu'ils s'en lassent, comme on peut le voir dans l'industrie de la mode avec ce que l'on appelle la fast-fashion par exemple.
Quel que soit le moment ou la manière dont cela est fait, il s'agit d'un modèle de consommation destructeur et hautement irresponsable, dans lequel le consumérisme moderne contribue directement à la crise des déchets de la planète :
"Onestime que 78 % des produits mis au rebut fonctionnent encore correctement lorsqu'ils sont remplacés (Van Nes, 2003), et dans certains cas, cela est dû à l'obsolescence psychologique (lorsqu'un produit est mis au rebut pour des raisons telles que l'évolution des besoins perçus par les utilisateurs, le désir d'émulation du statut social ou les nouvelles tendances en matière de mode et de style)" (Cooper, 2004, 2010 cité dans Ceschin & Gaziulusoy, 2016, P.123).
Nos décharges débordent déjà d'ordures et de déchets, alors pourquoi voudrions-nous délibérément ajouter des produits parfaitement fonctionnels mais légèrement usés aux montagnes de déchets qui polluent notre sol, notre eau et notre air ?
Vers la durabilité émotionnelle des produits
En réponse aux conséquences des modèles de surconsommation actuels au niveau mondial, de multiples initiatives et stratégies ont vu le jour.
En outre, les experts ont toujours reconnu que le design avait le pouvoir de renforcer l'attachement aux produits et aux services. L'objectif principal de ces initiatives, philosophies et principes est de prolonger le cycle de vie du produit, car les consommateurs sont davantage encouragés, par le biais d'une conception ciblée, à les préserver, les réparer, les entretenir et les transmettre au lieu de les jeter (Sherwin, 2004 ; Chapman, 2009 ; 2015).
Par conséquent, un nouveau concept émergeant, issu du design émotionnel et des pratiques durables, est apparu au premier plan des discours sur le design, offrant une approche innovante pour réguler notre consommation de biens et de services. Cette approche est connue sous le nom de durabilité émotionnelle du design.
Les recherches du professeur de design Chapman (2015) montrent que le design émotionnel durable (EDD) est devenu une nouvelle branche du développement durable qui étudie principalement l'attachement au produit et l'engagement de l'utilisateur, plus particulièrement du point de vue de l'économie circulaire. Selon la recherche, les initiatives, principes et pratiques du design durable et émotionnel ont la capacité d'incarner la valeur dans les artefacts de manière à la fois subtile et durable, en donnant au consommateur l'envie de préserver au lieu de perdre l'intérêt, de réparer au lieu de jeter, et de transmettre au lieu de jeter.
Produits usagés = meilleurs produits
Chapman, ainsi que d'autres chercheurs, observent que dans la société technocentrique d'aujourd'hui, "les produits dont la valeur clé réside dans le degré de nouveauté sont vulnérables à l'éclat de la décadence"(Chapman, 2015, P.131).
Nos recherches montrent que les propriétés de vieillissement et d'usure d' un matériau peuvent être exploitées par le design pour créer de nouveaux types d'expériences avec des caractéristiques qui évoluent librement dans le temps - ajoutant ainsi de la personnalité et de la valeur aux artefacts.
Lorsque les produits passent par le premier cycle d'utilisation, ils sont achetés, déballés, manipulés, utilisés, transportés, nettoyés, oubliés, réutilisés, empruntés, tombés, endommagés, etc. Cela signifie que l'utilisateur vit avec son produit, infligeant ainsi aux surfaces superficielles des rayures, des taches, des bosses, des creux, des décolorations, des fissures, etc. La plupart du temps, ces signes d'usure ne compromettent pas les performances du produit d'un point de vue fonctionnel. Ce sont des "signes devie" et des "indices d'utilisation" qui montrent l'incarnation du sujet dans l'objet (Chapman, 2015). Cette indication de la vie secrète de l'artefact est considérée comme influençant grandement l'expérience de l'utilisateur en ajoutant de la valeur - au lieu de repousser l'utilisateur - par la découverte et l'appréciation des cicatrices superficielles de l'utilisation.
Par conséquent, l'EDD peut être considérée comme une approche stratégique du design durable, qui a un impact sur la relation entre l'utilisateur et l'objet en "intégrant des valeurs moins transitoires et plus durables dans les produits" (Chapman, 2015, P.27). En conséquence, la relation entre l'utilisateur et l'objet devient plus forte et plus profondément ancrée dans le mode de vie et les habitudes du consommateur, le produit devenant un élément irremplaçable de la vie de l'utilisateur. Bien entendu, cette relation peut être renforcée par le passage du temps, car les produits qui portent fièrement, intentionnellement et gracieusement des signes d'utilisation peuvent être considérés comme uniques, spéciaux et uniques en leur genre. Cette approche vise à "réduire la consommation et le gaspillage des ressources naturelles en augmentant la résiliencedes relations établies entre les consommateurs et les produits" (Chapman, 2009, P.142).
"Laconception durable sur le plan émotionnel offre donc un langage utile pour décrire la pertinence contemporaine du design de produits responsables, bien faits et tactiles que l'utilisateur peut apprendre à connaître et leur attribuer une valeur à long terme"(Lacey, 2009, P.142).
Cette approche axée sur les émotions encourage une narration durable lorsqu'il s'agit de produits et d'expériences matérielles. Cela passe par la création de relations plus durables entre l'utilisateur et l'objet, qui favorisent la sélection de matériaux et de produits évolutifs portant les signes du temps, par opposition aux matériaux inertes et stériles (Chapman, 2015).
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Inspiré des anciennes philosophies orientales
Comme nous le savons tous, l'idée d'accepter les imperfections et de trouver de la beauté dans les signes d'utilisation n'est pas récente. Contrairement à la vision occidentale prédominante, axée sur la perfection immaculée du monde matériel qui nous entoure, les cultures orientales trouvent de l'attrait et de la valeur aux surfaces matérielles usagées. En fait, la culture japonaise a toujours tourné autour de l'acceptation de l'éphémère à travers les principes esthétiques associés à la transition philosophique et rituelle du zen. Bien que les principes liés à l'esthétique zen aient fait l'objet de nombreuses recherches, nous avons dressé une liste abrégée et simplifiée des éléments les plus pertinents pour la conception. Ces éléments sont basés sur les conclusions de Purser (2013), Hisamatsu (1971), Lomas et al. (2017), Suzuki (1959/2019), Keulemans (2016) et Parkers et al. (2018).
Fukinsei : qui signifie "asymétrie", fait référence à la "perfection de l'imperfection" et attire notre attention sur l'irrégularité inhérente au monde naturel.
Koko: traduit par "sublimité austère", il se manifeste par la beauté des éléments vieillis.
Shizen : se traduit par "naturel" ou "absence de prétention ou de préméditation".
Daisuzoku :ou liberté par rapport aux habitudes, à la routine et au conventionnel.
Sei-jaku :qui peut être traduit par calme, pureté et tranquillité.
Kanso : se réfère à la beauté dans une élégante simplicité.
Yu-gen :souvent décrite comme la plus difficile à traduire, mais qui peut être comprise comme une grâce profonde tout en étant porteuse d'une profondeur et d'une obscurité mystérieuses.
Wabi-sabi : l'un des trois principaux états d'esprit perceptifs et émotionnels évoqués par le zen, est une vision du monde inspirée par une perspective compatissante et empathique de la vie, et se réfère à la recherche d'une beauté unique et non conventionnelle dans l'impermanence, la fugacité et les imperfections.
Kintsugi: ancienne technique japonaise de réparation des céramiques issue de l'esthétique du koko et du wabi-sabi . Les céramiques cassées sont réassemblées en mettant en évidence la cassure - généralement en utilisant de l'or - au lieu de la dissimuler.
Tous ces principes et considérations peuvent être intentionnellement intégrés dans le processus de conception et servir de lignes directrices ou d'inspiration pour créer des produits et des services plus durables sur le plan émotionnel.
Accepter les imperfections et détourner l'attention de l'utilisateur du nouveau et du brillant vers l'usagé et le familier.
Avec cette base, nous continuons à nous poser des questions plus intéressantes. Par exemple, nous nous demandons pourquoi la formation de patine sur le cuivre, le bronze, le bois et les produits en cuir, par exemple, est généralement perçue comme un comportement de vieillissement naturel et même intentionnellement gracieux. Alors que d'autres matériaux tels que le plastique, le béton et les textiles semblent faire l'objet d'une perception trompeuse, sévère et inutilement jugeante ? Pourquoi certains articles usés sont-ils considérés comme des antiquités (par opposition aux déchets) et sont-ils recherchés par les collectionneurs? Nous soulignons même que certains consommateurs - ou même des designers - vont jusqu'à recréer artificiellement de faux signes d'usure (décoloration, rayures, décoloration, etc.) sur les surfaces de certains produits pour leur donner un aspect "vintage" qui est considéré comme une valeur ajoutée (par exemple, le denim vieilli).
Une chose est sûre, il existe un intérêt croissant pour l'acceptation des imperfections et l'éloignement du modèle de consommation standard qui se concentre sur les artefacts "parfaits" produits en masse.
Les pratiques de design industriel ont exacerbées cet intérêt pour l'imperfection en réponse à la monotonie redondante résultant de la production de masse (Ramarkers, 2002). En fait, des qualités telles quela personnalisation, le sur-mesure, l'unicité, l'artisanatet ladiversitésont prises en compte dans le design contemporain afin de mieux représenter l'individualité des personnes et de promouvoir l'attachement émotionnel (Viva la diferencia, 2018).
Pour faire court :
Le monde évolue, la perception de la perfection par la société moderne évolue vers des designs plus durables, et les initiatives et philosophies émergentes - telles que la durabilité émotionnelle du design - encouragent la beauté, la valeur et l'attachement à trouver dans les produits usagés afin de prolonger leur cycle de vie au-delà des limites.
Tout, même les initiatives les plus innovantes, ont des limites
Pourtant, il est important de mentionner les limites des principes de l'EDD pour nous rappeler qu'il y a toujours des inconvénients à prendre en compte. Par exemple, comme les significations sont sensibles au contexte, elles peuvent varier considérablement d'un utilisateur à l'autre, ce qui rend difficile pour le designer de garantir l'attachement au développement du produit. En outre, le niveau d'attachement peut varier en fonction de la catégorie de produit, et tous les produits ne bénéficient pas nécessairement d'une longévité accrue. Pour finir, la longévité émotionnelle de certains produits peut entrer en conflit avec les attentes économiques de certains commerçants dont l'objectif principal est d'augmenter les ventes, ce qui les rend réticents à les développer et à les vendre. Par conséquent, les attentes devraient être nuancées lorsqu'il s'agit d'artefacts acquis à titre privé, par opposition aux artefacts appartenant à l'État, par exemple.
En conclusion, le design émotionnel durable est d'une importance cruciale pour la création de produits et de services durables qui répondent aux besoins des consommateurs d'aujourd'hui tout en respectant les frontières et les limites de l'environnement. En tenant compte du lien émotionnel que les gens entretiennent avec leurs biens, les designers industriels peuvent créer des produits et des services qui résisteront à l'épreuve du temps, tant en termes de durabilité que d'attrait. Ce type de conception garantit que les produits ne sont pas seulement fonctionnels et esthétiques, mais qu'ils sont également capables de favoriser des liens émotionnels à long terme avec les utilisateurs, de réduire les déchets et d'améliorer la longévité globale des produits.
Les consommateurs étant de plus en plus conscients de l'impact de leurs modes de consommation sur l'environnement, le rôle du design émotionnel durable deviendra encore plus crucial pour façonner un avenir plus durable pour les prochaines générations.
Il est donc important que les entreprises - et leurs designers - donnent la priorité à l'intégration des principes de design émotionnel durable dans leurs processus globaux de conception, de production et de commercialisation.
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